L’expulsion de Kemi Seba relance le débat sur le franc CFA et la liberté d’expression

L’activiste panafricain Kemi Seba a été expulsé du Congo après l’interdiction d’une conférence sur le franc CFA. Alors que le gouvernement justifie cette décision par des impératifs de stabilité, experts et militants dénoncent une instrumentalisation politique du discours monétaire.

Kemi Seba, figure de proue du panafricanisme, a été interpellé le 31 mars 2025 à Brazzaville alors qu’il s’apprêtait à tenir une conférence sur la souveraineté monétaire africaine. Les autorités congolaises l’ont expulsé vers Kinshasa au nom de la « sécurité nationale », invoquant des risques de trouble à l’ordre public. Connu pour ses prises de position anti-CFA et son rapprochement avec la Russie, l’activiste béninois dénonce une tentative de museler les critiques contre l’influence française en Afrique.

Interrogé lors de la Quinzaine du gouvernement, le ministre Thierry Moungalla a défendu une ligne ferme : « Critiquer la monnaie revient à saper la souveraineté économique, et serait de ce fait constitutif d’un délit ». Pourtant, aucun texte pénal congolais ou des États membres de la zone franc ne criminalise explicitement les discours sur le CFA. Le ministre use ici d’une rhétorique politique plutôt que juridique, évitant de citer des dispositions précises.

Cette stratégie n’est pas nouvelle. Le ministre de la Communication et des médias, porte-parole du gouvernement depuis 2015, excelle dans les approximations sémantiques, à l’image de sa justification de l’échec de création des 100.000 emplois promis dans le cadre de l’année de la jeunesse, par un « concept d’approximation ». Son discours actuel s’inscrit dans une logique de dissuasion, exploitant le flou juridique entourant la monnaie.

Depuis la France, le politologue Franklin Nyamsi oppose une réfutation en règle aux déclarations de Thierry Moungalla. Lors d’une conférence magistrale délivrée sur sa chaine youtube « Franklin Nyamsi wa Kamerun l’Afrique des libertés », il a rappelé que le franc CFA, créé en 1945 sous le nom de Franc des Colonies Françaises d’Afrique, est avant tout une propriété de l’état français, arrimé à l’euro via un compte au Trésor français où 50 % des réserves des États membres sont déposées.

Trois points clés structurent sa démonstration : Une souveraineté limitée par le fait que les pays utilisateurs ne contrôlent ni la parité ni la politique monétaire, aucun traité ne réprime la critique verbale du CFA, seule la contrefaçon est punie, et enfin, le mécanisme des réserves obligatoires qui favorise, selon ses analyses, un « drainage systémique » des économies africaines.

Pour le Professeur Franklin Nyamsi, l’expulsion de Seba relève d’une logique autoritaire visant à protéger un « ordre néocolonial ». Il sied de souligner que le ministre Moungalla ne ment pas techniquement, puisqu’il n’invoque pas de texte spécifique dont la teneur du contenu serait déformée par ses soins, mais détourne le débat vers un terrain émotionnel (« stabilité nationale ») pour éviter l’affrontement idéologique.

Cet épisode cristallise les tensions entre réalités juridiques et narratifs politiques en Afrique francophone. Alors que les militants panafricanistes réclament un audit du système CFA, les gouvernements répondent par un verrouillage rhétorique, preuve que la bataille monétaire dépasse largement le cadre économique pour incarner un enjeu de souveraineté civilisationnelle.

Légende photo : Le ministre Thierry Moungalla lors d’une quinzaine du gouvernement

Crédits : Lacongolaise242

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