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Médias et soft power : la résurgence congolaise sous le prisme français

Depuis 2020, les artistes congolais connaissent une visibilité inédite dans les médias francophones. Entre Prix RFI Découvertes et émissions télévisées, cette soudaine mise en lumière révèle une stratégie géopolitique. Un retour en grâce qui masque une réalité historique : le Congo, longtemps éclipsé par les chouchous ouest-africains, devient un pion dans le jeu d’influence.

En 2020, (Young Ace) Wayé remporte le Prix RFI Découvertes, brisant un tabou : aucun Congolais n’avait décroché ce trophée depuis trente six ans. En 2023, Jessy B récidive. Cette double victoire coïncide avec un contexte géopolitique tendu : les relations France-Burkina, France-Mali ou France-Niger sont au plus bas. Pendant ce temps, Brazzaville, longtemps reléguée au second plan, devient le nouveau terrain de jeu médiatique.

Les émissions Couleurs Tropicales (RFI) et Légendes Urbaines (France 24) illustrent cette dynamique. Makhalba Malechek, rappeur congolais, y est présenté comme une « légende africaine », avec des propos élogieux qui dépassent parfois la réalité de son impact continental. Une surmédiatisation qui contraste avec l’indifférence passée envers une scène musicale congolaise pourtant riche, comme en témoigne l’histoire de certaines émissions de la place Brazzavilloise, qui ont longtemps diffusé des artistes locaux sans relais international.

La France a toujours utilisé la culture comme levier d’influence. Dans les années 1960-1980, les médias congolais (Radio-Congo, Télé-Congo) étaient les seuls canaux de promotion, mais leur audience restait locale. Aujourd’hui, les institutions francophones (OIF, RFI, France 24, Trace, Instituts Français) jouent un rôle d’accélérateur médiatique, sélectionnant parfois des artistes selon des critères géopolitiques plutôt que purement artistiques.

La récente attention portée au Congo répond, à mon avis, à un calcul : consolider une zone d’influence en Afrique centrale après la débâcle dans le Sahel.

Les artistes congolais ne rejettent pas cette visibilité, mais regrettent son opportunisme. « On aurait aimé être plébiscités quand notre musique était déjà riche, pas seulement quand la France a besoin de nous », m’a récemment confié un ancien musicien dont je tais ici le nom. Les nombreuses initiatives, comme le Beat Street Festival d’Alex Bougha, qui couronnait des artistes locaux, montre que la scène congolaise a toujours existé, mais sans relais international.

La libéralisation des médias congolais (Radio-Océan, DRTV, DVS+) depuis les années 2000 a permis une pluralité, mais aussi un mercantilisme : les passages médiatiques sont souvent payants, limitant l’accès aux artistes émergents. La France, en promouvant certains noms, contourne cette réalité économique tout en renforçant son image de « protectrice des arts africains ».

Makhalba Malechek salué en France, reste peu connu en Afrique anglophone. Son passage dans Légendes Urbaines a suscité des réactions 9variées sur les réseaux sociaux africains, où certains soulignent une « fabrication médiatique de notoriété ».

La slameuse Mariusca Moukengue illustre également ce fait. Portée par des institutions telles que l’IFC, l’UE, et mise en lumière lors de nombreux événements organisés à travers le monde par ces officines, n’arrive qu’en 3eme position des meilleurs slameurs africains derrière Faithful du Cameroun et le duo Menteur Ambulant et Jeff Eusebio du Togo, tout ceci, en l’absence de données chiffrées sur des slameurs célèbres tels que Al Faruq du Sénégal, La voix de l’orphelin du Gabon et Makwa Joma le malgache, et surtout, la non prise en compte des slameurs anglophone d’Afrique.

La résurgence congolaise dans les médias francophones est un miroir déformant. Derrière les éloges, se niche une réalité : la culture reste un enjeu de pouvoir. Pour sortir de ce piège, Brazzaville doit cultiver son indépendance médiatique, tandis que Paris devrait privilégier une coopération équilibrée plutôt qu’une instrumentalisation calculée.

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